dimanche 23 février 2025

Mutations des noms et prénoms chez les Canadiens français


Au Québec, cela fait à peine au-delà d’un siècle que l’identité des individus est fixe et prouvée par l’acte de baptême ou bien, depuis 1994, par le certificat de naissance. Auparavant, un individu ayant reçu plusieurs prénoms à la naissance pouvait passer de l’un à l’autre sans plus de formalités. Il en allait de même pour le nom de famille dans le cas où un surnom lui était associé. Pour couronner le tout, aucune norme n’encadrait l’orthographe des noms qui variait en fonction du rédacteur de l'acte. Les variantes étaient donc nombreuses et certaines d’entre elles sont devenues la norme avec le temps.



Une des variations les plus souvent rencontrées dans les registres se rapporte au prénom de nos ancêtres. Prenons par exemple le couple Louis Trudeau, veuf, et Pauline Quintin, mineure, mariés à la paroisse Sainte-Anne de Varennes le 30 octobre 1815. Pour compléter les informations au sujet de Pauline, fille de Louis Quintin et de Marie Amable Pilet, nous cherchons son acte de baptême. Nous la trouvons au registre de la paroisse Sainte-Famille de Boucherville le 27 janvier 1795 sous le prénom d’Hyppolite. En 1881 lorsqu’elle décède, c’est sous celui d’Apolline qu'elle sera inscrite, à Longueuil cette fois.


Certains prénoms sont plus susceptibles de varier que d’autres. D’emblée, nous viennent à l’esprit tous ceux qui sont composés. Jean-Baptiste se voit souvent ramené à Jean ou bien Baptiste. D’autres subissent davantage de transformations; par exemple, Marie Josèphe devenant parfois Josephte ou encore Archange changeant en Désanges. Rose a possiblement été baptisée Rose de Lima, mais pouvait également opter pour Délima comme prénom usuel. Que dire de toutes ces Louise, renommées Angélique? Je n’arrive toutefois pas à expliquer comment une de mes ancêtres, Euphrosine Richard, a pu avoir été baptisée Zozime!


Quant aux noms de famille, nous avons déjà abordé la question des surnoms qui leur sont associés dans un précédent article. Il faut savoir qu’il est courant qu’un individu se marie en utilisant son patronyme et soit plutôt enregistré sous son surnom à son décès. Ainsi, Joseph Pascal, l’époux d’Euphrosine Richard, mentionnée plus haut, décède sous le nom de Joseph Comtois. 


En outre, deux individus issus d’une même lignée pouvaient être connus sous deux patronymes différents. Jules-Isaïe Benoit dit Livernois naît à Longueuil en 1830. Il est le seul de sa fratrie à recevoir les deux noms de famille. Par exemple, sa soeur Domithilde Benoit, mon aïeule, n’a jamais été identifiée sous le surnom Livernois. Et pourtant, le fils de Jules-Isaie Benoit, Jules-Ernest, photographe de Québec, n’est connu que sous le nom de Livernois.


Une variation moins fréquemment relevée dans les registres est celle de la féminisation des noms de famille. Notamment, il arrive parfois que le patronyme Lauzier devienne Lauzière au baptême d’une fille. Il en va de même pour Charet qui mute en Charette. Un des plus beaux cas trouvés à ce jour est celui d’une fille d’un monsieur Roy baptisée Marie … Reine! Dire que certains chercheurs ont cru que son nom de famille avait été omis dans l’acte!


Enfin, certains de nos ancêtres peuvent être originaires d’autres pays que la France. Dans le but de mieux s’intégrer à la société d’accueil, ils ont tout simplement adapté ou traduit leur nom de famille. Ainsi, le patronyme Taylor est parfois devenu Tallard, Da Prato a changé en Depratte, Marone a été traduit par  Lebrun, ou encore Deigne ou Degme s’est transformé en Daigle.


Quand vous lisez un acte de mariage dans lequel le nom d’un même individu est orthographié de trois manières différentes, vous ne pouvez que conclure à l’absence de norme en cette matière. En généalogie, lorsqu’on recherche des familles canadiennes-françaises, il faut faire preuve de rigueur, certes, mais en gardant l’esprit ouvert.


samedi 22 février 2025

Retrouver le trésor familial chez des cousins éloignés

Joseph Galaise 1795 - 1881.
Depuis toute petite, j’adore regarder les photos. Mon père sortait parfois les vieux albums de sa mère qui consistaient en plusieurs feuilles de carton noir et où les photos tenaient grâce à de petits coins dans lesquels elles étaient insérées. À d’autres occasions, il me montrait des photos de la famille de son père, moins nombreuses celles-là, dont certaines de couleur sépia. Sur l’une d’elles, je pouvais voir mon arrière-grand-père assis sur un cheval-jouet entouré de ses parents, d’un frère et d’une soeur.


Lorsque beaucoup plus tard, j’ai voulu créer un livre sur l’histoire de la famille de mon père, j’ai tout de suite eu l’idée de l’agrémenter de photos. Mais ma collection était nettement insuffisante. J’ai donc entrepris de contacter des cousins éloignés pour documenter la vie des membres de leur lignée.


J’ai commencé par approcher la soeur cadette de cet arrière-grand-père que je n’ai jamais connu. Lorsque je suis allée la rencontrer, Jeannette était déjà très âgée et n’avait plus toute sa mémoire. Mais elle se souvenait fort bien de son frère aîné et m’a raconté plein d’anecdotes à son sujet. Jeannette n’avait plus ses photos de famille, car elle avait déjà transmis ce patrimoine à l'un de ses fils, Jacques, avec qui j'ai pris rendez-vous. Dans sa collection, j’ai déniché quelques photos du père de Jeannette, mon arrière-arrière-grand-père, mais aussi quantité de clichés sur lesquels apparaissaient les frères et soeurs de Jeannette à divers moments de leur vie.


Plus tard, au cours de mes recherches, j’ai pris contact avec une cousine éloignée — à peine plus âgée que moi — dont l'un des ancêtres était un frère de mon arrière-arrière-grand-père. Antoine s’était installé au Vermont. Un de ses fils, duquel cette cousine descendait, était revenu vivre au Québec. J’ai donc rencontré cette lointaine parente chez elle. Elle m’a fait visiter son appartement en terminant par son bureau. Là, au mur, étaient accrochées les photos du père, de la mère et de presque tous les frères et les soeurs de mon arrière-arrière-grand-père. Je ne peux vous cacher que ce fut un choc pour moi. 


En quelques semaines, j’avais réussi à rassembler les photos de trois générations de Galaise. J’avais de quoi documenter mon ouvrage sur la famille. J’avais tout de même envie de poursuivre ma quête. Pour cela, il faudrait que je fouille du côté de Plattsburgh et d’Albany dans l’État de New York afin d’y retrouver les descendants de l’arrière-grand-père de mon arrière-grand-père qui s’y était établi au milieu du XIXe siècle, et d'y recueillir du matériel sur leur lignée respective. À ce moment-là, j’étais à des années-lumière d’imaginer ce que j’allais découvrir.

Avant de publier le livre sur l’histoire de la famille, il me restait encore de la recherche à faire. Cette fois, je me suis dirigée aux archives de l’État de New York, à Albany, où j’ai passé une semaine. Je souhaitais savoir où les descendants de mon quatrième arrière grand-père s’étaient installés après avoir quitté Plattsburgh.

Et bien, je les ai retrouvés justement dans la région d’Albany, soit à Cohoes, Waterford et Schenectady. Un des demi-frères de mon arrière-arrière-arrière grand-père, Hilaire Galaise, avait choisi de s’installer à Saratoga Springs. Son épouse et lui ont eu 10 enfants dont seulement 3 ont eu un destin. Tous les autres sont décédés en bas âges. 


La cadette, Ernestine, est allée vivre du côté d’Albany et s’y est mariée, perdant ainsi son nom de jeune fille. J’ai tout de même continué à suivre cette famille en regardant sous le nom du mari dans l’annuaire, qui à l’époque était disponible sur les tablette de la bibliothèque en libre service. Lorsque leurs enfants, trois filles, ont été en âge de travailler, elles figuraient également dans l’annuaire. J’ai même pu trouver la date de mariage de l’une d’elle grâce à l’annuaire qui précisait, cette année-là, soit en 1952, de la rechercher sous le nom de son mari. 


Mais ma source s’est ensuite tari. Les annuaires des années plus récentes ne se trouvaient pas sur les tablettes. De retour à l’hôtel, une idée un peu folle m’a traversé l’esprit. Et si cette dame était encore vivante et habitait encore à Albany? Ma tête me disait que j’avais peu de chance de la retrouver cinquante ans plus tard. Je le feuillette quand même et j’y trouve une entrée qui pourrait correspondre, soit un homonyme du mari de cette lointaine cousine.


Prenant mon courage à deux mains, je décroche le téléphone et je compose ce numéro. Bingo! Lorraine s’empresse de m’inviter à prendre le café. Elle a des photos à me montrer et veut en savoir plus sur l’histoire de la famille. Dans l’intervalle, elle communique avec ses soeurs et sa fille. J’ai droit à une réunion de famille.


Nous nous sommes installés pour regarder la collection de photos bien rangées dans des albums en carton noir qu’Ernestine avait pris soin d’identifier au crayon blanc. Oncles, tantes, cousins et cousines, tous y étaient. Après un moment, Lorraine me montre une photo en particulier en me disant que l’homme qu’on y voyait était le grand-père d’Ernestine, Joseph Galaise. Je me souviens très bien de répondre à Lorraine que c’était impossible. Cet homme était né en 1795 après tout. Mais il est décédé en 1881. Ernestine ne pouvait s’être trompée sur l’identité de son grand-père. Il n’y avait plus de doute possible. Je ne peux vous décrire l’émotion que j’ai alors ressentie. Je tenais dans mes mains la photo de Joseph, mon 4e arrière grand-père. 


Je pouvais maintenant publier mon livre.